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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 19:56

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Éric Anselin, directeur général, Luxanimation
(Photo : David Laurent/Wide)
Luxembourg  |  Interview par: Vincent Ruck  |  Publié le 21.03.2012 18:00
INTERVIEW


Éric Anselin : « En plus des enjeux économiques, il faut nécessairement un coup de cœur »

Éric Anselin, en quoi consiste le travail d’un directeur général dans une maison de production audiovisuelle comme Luxanimation ?
« Certains points sont très spécifiques à l’entreprise et au secteur d’activité. Une grande partie de mon rôle est de participer au montage de coproductions audiovisuelles. Pour simplifier, il y a deux rôles différents : le producteur délégué et le coproducteur. Le producteur délégué est à l’origine du projet, et en supporte la majeure partie. Le coproducteur vient apporter des financements et des ressources, pour compléter le tour de table. Luxanimation est la plupart du temps coproducteur, et nous assurons alors une partie des prestations.
La production de films d’animation est très différente de ce qu’elle est pour les films classiques.
Nous sommes d’une certaine manière plus industriels, pour tout ce qui touche à l’organisation du travail. Lorsque nous montons un projet, nous décortiquons le plus précisément possible les différentes étapes, en pensant à ce qui est faisable au Luxembourg. Nous analysons les flux de fabrication, le partage des rôles – ce que nous appelons le worksplit – mais également les processus, les outils matériels et logiciels que nous devrons utiliser, les profils de personnes à employer…
Quel est le profil de vos collaborateurs ?
« Travailler dans l’infographie, cela veut dire travailler avec des spécialistes très pointus… Certains sont sur le rigging, c’est-à-dire la création d’un squelette qui servira de base à l’animation de tous les autres éléments du personnage. D’autres travaillent les textures, les décors ou l’éclairage. Il y a des animateurs en 2D, en 3D, ou en 3D-relief… Et enfin, il y a ceux qui font le compositing, la fusion de tous les éléments issus du travail des autres info graphistes. Ce sont des personnes qui ont une dimension créative, mais qui dans le même temps maîtrisent des outils techniques particulièrement pointus.
Un autre aspect qui peut faire ‘usine’, c’est la planification. Nous avons des objectifs de production, des quotas, qu’il faut gérer intelligemment. Il faut faire avancer les projets avec la qualité nécessaire, tout en respectant les délais… Au total, nous travaillons sur des projets pendant un ou deux ans !
Ceci dit, comme pour tous les films, nous avons un réalisateur. S’il ne dirige pas un véritable acteur, il est là pour influencer les infographistes et les équipes dans leur production. C’est un processus continu et assez lent, car même un bon animateur ne crée qu’une à deux secondes par jour… Le réalisateur est là pour faire des commentaires, demander un angle de caméra différent, faire adapter ce qui n’est pas en ligne avec sa vision de l’œuvre.
Comment est organisée la structure de l’entreprise ?
« Il y a en fait deux sociétés… Luxanimation et Luxstudio. Luxanimation est la structure qui produit et monte les projets, Luxstudio est celle qui fabrique les films. Elles sont liées, elles appartiennent au même groupe. En termes de ressources humaines, c’est Luxstudio qui en fait est la partie la plus importante, avec une taille qui varie selon les projets sur lesquels nous travaillons. L’équipe fixe est une sorte de squelette, capable de supporter les montées en charges, avec les bonnes compétences aux bons endroits… Il s’agit d’une vingtaine de personnes. Pour le reste, nous sommes déjà montés jusqu’à 80 collaborateurs, et nous sommes aujourd’hui environ 60.
Vous travaillez donc avec de nombreux infographistes…
« Oui… Je dis souvent qu’ils sont des artisans. Ils doivent comprendre l’intention du réalisateur, et la traduire en images. C’est en fait une liberté encadrée… On ne fait pas bouger Babar ou le Petit Spirou de la même manière, les personnalités des personnages sont différentes. Cela veut dire qu’il y a dans ce métier une discipline qui ne transparait pas quand on voit le résultat. Ni quand on voit les infographistes… Ils sont plutôt jeunes et décontractés, mais ont une organisation très stricte.
Il faut trouver un équilibre entre la liberté de création et les impératifs économiques de l’entreprise. J’ai la chance d’avoir un directeur artistique et un directeur de studio qui sont capables de dire ‘c’est suffisant, passons à autre chose’. Si l’on se laissait guider par l’envie, on ne finirait jamais les films… Il faut donc réussir à être à la fois doux et ferme.
Est-il difficile de faire venir les compétences au Luxembourg ?
« Non. En tout cas, ce n’est pas notre préoccupation principale. Certains animateurs sont en fait des artistes nomades, qui passent d’un projet à l’autre. Et c’est le projet qui reste leur déclencheur, qui les motive… Certains travaillent pour nous car ils voulaient ‘faire’ le Petit Nicolas. Et le fait de ne même pas être à Luxembourg, mais à Doncols, dans le nord du pays, n’est pas non plus un obstacle. Nos locaux sont situés dans un ancien corps de ferme entièrement rénové. Les collaborateurs apprécient de travailler à 5 ou 10 minutes de l’endroit où ils habitent, et d’avoir un peu d’espace pour respirer. Le paysage alentour est agréable, et leur propose un écrin efficace pour être plus concentré. J’ai encore récemment rencontré un animateur qui racontait combien Paris était – pour lui – désagréable à vivre, avec les temps de trajets, l’environnement…
Comment fait-on pour trouver et monter un projet ?
« Nous sommes très présents à des salons spécialisés. Il y a quelques semaines, nous étions au Cartoon Movie à Lyon. C’est un salon qui a rassemblé 700 personnes de la profession en Europe. On y trouvait des producteurs, des distributeurs, des diffuseurs, des studios de production, mais également des financiers. C’est, comme dans de nombreux autres milieux, une question de contact et de relationnel. Pour faire court, en plus des enjeux économiques, il faut nécessairement un coup de cœur pour travailler sur un projet. Nous allons consacrer deux à trois ans d’efforts à un film ou une série, il faut qu’il y ait une entente entre les personnes sur ce qu’ils veulent créer. Faire un film, c’est comme préparer un bon repas : on y passe la journée, parce qu’on va faire ses courses, on travaille en cuisine, on met la table, mais tout est mangé en 10 minutes…
Ceci dit, Luxanimation est aujourd’hui entrée dans une autre phase créative. Il y a deux ans, en regardant ce que nous faisions, je me suis rendu compte que notre modèle économique se bornait trop à être le coproducteur minoritaire, sur des projets venus de l’extérieur. Nous avons décidé de commencer à renverser la vapeur, en créant un nouveau département, Luxatelier. Son rôle est de générer des projets à partir du Luxembourg, sur nos propres idées.
Vous avez donc des projets, en tant que producteur délégué ?
« Nous en avons deux en déve lop pement avancé. Burny le petit dragon est une adaptation du livre De Burny brennt duerch!, édité par les Éditions Guy Binsfeld – les auteurs sont Annick Linster et Paulette Laugs. Nous en avons racheté les droits, et nous préparons son adaptation en série télé. Nous avons réalisé un pilote de quatre minutes et nous avançons dans les discussions avec nos partenaires. Cette fois-ci nous sommes dans le siège du producteur. Nous aurons bientôt réuni les financements nécessaires pour la production, qui sont de l’ordre de cinq millions d’euros. Notre rôle de producteur délégué nous permettra de rapatrier la majorité des droits ici, et de soigner la partie luxembourgeoise de la production.
L’autre projet s’intitule Igor et le secret des 7 vies. Il est basé sur le roman Les aventures d’Igor le chat de Mara Montebrusco-Gaspari.
Nous sommes dans une démarche qui s’étale dans la durée. Le marché européen de l’animation est très compétitif, et il n’y a pas tant de chaînes que cela qui peuvent financer le lancement d’un projet.
Comment vous positionnez-vous sur le marché européen ?
« Nous ne cherchons pas à être des spécialistes techniques. Nous préférons la diversification… Babar est en 3D. The Prodigies était en 3D en relief, avec de la motion capture. Le Petit Spirou est en 2D. Nous nous concentrons sur les concepts, les scénarios, les synopsis plutôt que la manière de faire.
Quand on regarde notre filmographie, nous travaillons surtout pour deux types de publics : les jeunes enfants de 3 à 6 ans et les jeunes adolescents, entre 7 et 12 ans. Au-delà, nous pouvons faire des choses, mais uniquement si nous avons un coup de cœur. Les films Renaissance, de 2005, et The Prodigies en 2012, étaient plus destinés à un public adulte. Nous y avons participé car ils avaient des partis pris esthétiques ou technologies intéressants. Mais de manière générale, nous restons sur des projets qui portent des valeurs humaines, de courage, de solidarité et de partage… Ce sont des valeurs qui nous plaisent, et qui parlent au plus grand nombre.
Comment faites-vous pour soutenir votre développement ?
« Pour notre prospection, le fait de faire partie du groupe Moonscoop est une chance. Il est notamment installé à Paris, mais aussi ailleurs en Europe et aux États-Unis. Il nous aide pour toutes les questions de distribution et sert de relais efficaces dans de nombreux marchés. Cela nous permet d’avoir un effet catalogue, et de profiter de synergies très utiles.
Les choses sont plus simples pour nous qu’il y a 10 ans, quand personne ne connaissait la société. En Europe, nous avons aujourd’hui une bonne réputation. Mais même si nous avons l’expérience et le savoir-faire nécessaire, il faut reconnaître que l’environnement financier du Luxembourg est très stimulant pour notre industrie. Il est indispensable, en fait. Ne serait-ce que parce que nous n’avons pas suffisamment de fonds propres pour être capables de porter l’intégralité des coûts de coproduction. C’est le soutien du Film Fund qui nous permet d’être au crédit de différentes œuvres que nous faisons.
Produire en Europe, est-ce important ?
« En ce moment, nous avons trois grandes séries, trois grandes licences. Il s’agit du Petit Nicolas, de Babar, et enfin du Petit Spirou. Je suis particulièrement content d’avoir cette dernière série. Outre la sympathie pour le personnage, nous avons réussi à conserver sa fabrication ici en Europe, alors qu’il devait initialement être produit en Asie. La question n’est pas sur la compétence technique des studios chinois ou japonais, mais sur la touche culturelle. Nous avons réussi, avec l’éditeur Dupuis, en Belgique et en France, à faire une production équilibrée avec le Luxembourg. Si faire les choses ici semble a priori coûter plus cher, cela permet de rester plus facilement fidèle aux exigences et à l’intention du réalisateur. Il est difficile de faire cela avec une distance physique et culturelle trop importante. Et le fait que tout le monde parle la même langue aide également grandement : il est facile de se transmettre les messages, de faire des réunions, sans avoir à passer trop de temps à expliquer l’humour franco-belge que l’on veut adopter. 
La crise vous a-t-elle touché ?
« Le montage financier des projets est effectivement devenu un peu plus complexe. Les chaînes de télévision mettent la pression sur les budgets, et préfèrent régulièrement choisir une rediffusion plutôt que de créer de nouveaux programmes. Les banques également sont devenues plus frileuses. Une maison de production comme la nôtre fonctionne beaucoup sur le préfinancement. Nous travaillons pendant un ou deux ans, avec 30 personnes à temps plein, avant d’avoir les premiers résultats. L’accès au crédit ne s’est pas totalement coupé, mais on demande plus de garanties. »

http://www.paperjam.lu/article/fr/eric-anselin-en-plus-des-enjeux-economiques-il-faut-necessairement-un-coup-de-coeur

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